Les ruptures conventionnelles ont toujours la côte

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5 ans après leur création, les ruptures conventionnelles (RC) créées par la loi de "modernisation du marché du travail" de 2008 sont encore en hausse en 2012, selon une étude publiée par la Dares le 24 mai. Instaurée par l'accord national interprofessionnel de janvier 2008, ce nouveau mode de rupture du contrat de travail devait permettre à l'employeur et au salarié de se mettre d'accord sur les conditions de la rupture de leur contrat en établissant une convention, qui doit être soumise à l’homologation des services du ministère du Travail.

26 700 ruptures conventionnelles ont été homologuées chaque mois, en moyenne, en 2012, ce qui fait que hors salariés protégés, le nombre de ruptures conventionnelles s’est élevé à 320 000 cette année, soit 11 % de plus qu’en 2011. Les ruptures conventionnelles représentent 16 % des fins de CDI. Le nombre de demande d'homologations déposées auprès des services du ministère du Travail a dépassé les 10 000 en France métropolitaine dès le mois d’octobre 2008 et n'a cessé de progresser depuis.

Ces chiffres confirment en partie les craintes des détracteurs de cette innovation juridique, qui dès 2008 dénonçaient le risque que ces ruptures conventionnelles ne jouent le rôle d'amortisseur social pour les entreprises en difficultés économiques. En effet, les protections qui peuvent jouer en faveur des salariés en cas de licenciement économique ne sont pas déclenchées par la mise en œuvre d'une convention de rupture, ce qui fait que de nombreuses entreprises se sont sans doute servies de cette innovation juridique pour contourner la loi sur les licenciements collectifs. Peu importe le nombre de RC conclues au sein d'une entreprise, même en difficultés, ces "divorces à l'amiable" ne peuvent pas être requalifiées en licenciement économique, puisqu'elles ne sont pas des licenciements.

Entre 2008 et fin 2012, 1 076 000 RC ont été homologuées en France métropolitaine

Le taux d’homologation, qui mesure le pourcentage de demandes homologuées parmi les demandes instruites, s’élevait à 79 % en août 2008. Ce taux s’est ensuite quasiment stabilisé, restant proche de 94 % de 2009 jusqu’à la fin 2012. Plusieurs raisons, parfois cumulées, peuvent expliquer que l’homologation soit refusée. En 2011, le refus d’homologation est motivé dans 40 % des cas par une indemnité de rupture inférieure à l’indemnité minimum et dans un peu plus de 25 % par le non-respect du délai de rétractation de 15 jours. Enfin, dans un tiers des cas, le refus est lié à un autre motif, non précisé.

On observe un lien évident entre les RC, les licenciements pour motifs autres qu'économiques, et les licenciements économiques, en fonction des secteurs d'emploi concernés, de la taille des entreprises et de l'année. À partir de 2008, la part des licenciements économiques diminue de moitié dans les motifs de fin de CDI, alors que la part des licenciements pour motifs autres reste stable. Où sont passés les licenciements économiques (qui, ont le sait, n'ont pas arrêté subitement après 2009) ? Ils sont allés gonfler le nombre de ruptures conventionnelles, dont la part dans les sorties de CDI est passée de 11 % en 2009 à 16 % en 2012.

Les travers de cette innovation juridique et ses effets pervers sur le chômage

Ce sont donc bien des licenciements économiques déguisés qui font l'objet de RC. On le voit encore plus clairement quand on compare les sorties de CDI en RC ou en licenciement (économique ou non) avec le secteur d'emploi ou la taille de l'entreprise : dans les secteurs fortement touchés par la récession, on note une plus grande importance des RC dans les motifs de sortie de CDI que dans les secteurs plutôt protégés, et idem pour les petites entreprises (qui ont beaucoup plus souvent recours à ce mode de licenciement masqués que les grandes entreprises, qui ont tendance à jouer plus facilement sur les licenciements pour motifs non économiques). La rupture conventionnelle a donc bien pour effet d'absorber les situations qui devrait donner lieu à la mise en œuvre d'un plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) ou d'une procédure de licenciement économique collectif.

En 2012, plus du quart des fins de CDI de salariés âgés de 58 à 60 ans est une rupture conventionnelle ce qui montre à quel point ces situations ont remplacé les licenciements d'autrefois, qu'on pouvait négocier avec des salariés proches de la retraite pour les mettre en "préretraite", afin qu'ils soient pris en charge par l'assurance-chômage jusqu'à avoir tous leurs trimestres pour partir en retraite. Outre qu'un salarié qui se voit proposer une convention de rupture n'a pas toujours le choix de l'accepter (on peut lui dire par exemple qu'il s'agit d'une opportunité unique de partir avec une indemnité conséquente, mais qu'il perdrait sa chance s'il refusait la RC), cette procédure ne met aucune obligation de rechercher une solution de reclassement ou de formation, comme c'est le cas avec la procédure de licenciement économique.

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Source : Libération, Dares