Bécasse : une muse qui a inspiré et inspire encore

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Un "pairon" de bécasses © Chantal Barbou-Frapier
La fascination pour la bécasse, la Reine des bois, est vielle comme le Monde. Pensez donc c'est grâce à elle que la Sainte-Famille a pu fuir en Egypte !  

Étymologie

La bécasse des bois a pour nom scientifique Scolopax rusticola. L'origine tient à la fois du grec et du latin. En grec, Scolops, signifie pieu ou pal auquel on peut rapprocher la forme de son bec. Rusticola, en revanche, est d'origine latine et fait référence à la campagne.
Au 19e siècle, l'engouement pour la classification a fait éclore de nombreuses sous-espèces. Ainsi distinguait-on la bécasse des pins, Scolopax rusticola pinetorum, la bécasse des forêts, S.r. sylvestris, ou encore la bécasse des bruyères, S.r. scoparia. Deux grandes catégories étaient également en vigueur, les "grosses" bécasses ou "têtes de hibou" et les "petites" bécasses ou "nordettes". De nos jours, il n'est pas rare d'entendre parler ici ou là de bécasse "royale". Toutes ces distinctions n'ont aucun fondement scientifique.
Le nom français remonte à la fin du 12e - début du 13e siècle. Il est clairement en rapport avec le bec et les habitudes forestières de l'oiseau.

Les mêmes racines se retrouvent dans les appellations italienne (Beccaccia) ou encore catalane (Becada).
En allemand et en russe, c'est une "bécassine des bois", Waldschnepfe.
En anglais, elle est Woodcock, littéralement "coq des bois". Une déformation de ce terme apparaît dans les noms "Videcoq", "Viteco", "Vuidecoc", "Witecoq", "Vico" ou "Vicot" employés anciennement en Normandie et dans le nord de la France. Enfin, en breton, on la nomme C'hefeleg ou Kefeleg, appellations que l'on retrouve quasi à l'identique en gallois avec Cyffylog.
La fascination qu'elle exerce sur les chasseurs a excité leur imagination linguistique. Pour certains elle est "la mordorée", pour d'autres "la reine des bois" ou "la belle des bois", pour d'autres encore, amoureux sans doute, "la belle aux yeux de velours".

Vous avez dit Bécasse ?
Dans le langage familier, se faire traiter de "bécasse" n'a pourtant rien de flatteur ! Par ce vocable, on désigne en effet une femme sotte, niaise. Cet emploi péjoratif du mot remonte au début du 16e siècle. Voilà qui va à l'encontre de la vénération que lui vouent les chasseurs !
Dans ce domaine, la bécassine n'est pas mieux lotie depuis les aventures d'une héroïne bretonne parues dans la Semaine de Suzette à partir de 1905 !

Elle fascinait déjà les gaulois

Les temps changent, les Façons de vénérer la bécasse aussi…
Les temps changent, les Façons de vénérer la bécasse aussi…

A l'époque gallo-romaine, les migrations de la bécasse retenaient déjà l'attention des druides. Une monnaie d'or frappée par une tribu gauloise du Finistère la représente très distinctement sous un cheval.
Des portraits de bécasse ornent divers manuscrits du 14e siècle. Les illustrations de la partie intitulée "Le chant des oiseaux" d'une Apocalypse datée de 1325, donnent une image de l'oiseau très proche de la réalité. Enfin, au Moyen-Age, la bécasse représentait l'emblème du solitaire pieux et méditatif.

Un sujet pour les artistes et les écrivains
Dès le 17e siècle, la bécasse figure en bonne place dans les tableaux de nature morte comme ceux de François Desportes. Au fil des siècles, des artistes de renom succombent au plaisir de nous raconter "leur" bécasse : Claude Monet, Edouard Traviès, Henri de Toulouse-Lautrec, William Turner, Joseph Oberthür, Roger Reboussin, Pierre Thorain ou encore Robert Hainard sont parmi ceux-là. Tous les artistes animaliers, un jour ou l'autre, ont affronté les bruns, les roux, les gris, les noirs de l'oiseau mordoré. Tous ont défié les tons chamarrés, les dégradés, les fines rayures qui l'habillent.
Les écrivains ne sont pas en reste. Guy de Maupassant met en place un dîner de chasseurs où le bec d'une bécasse, tournant en équilibre sur un goulot de bouteille, désigne un conteur qui en échange du régal que constitue toutes les cervelles pieusement gardées devra conter une histoire qui deviendra une des nouvelles des Contes de la Bécasse.

La chasse à la croule (interdite en France depuis 1978) offre à Maurice Genevoix pour son Bestiaire oublié et à Jules Renard pour ses Histoires naturelles, l'occasion de nous décrire l'ambiance et les parfums printaniers. A Paul Vialar, elle fournit la colonne vertébrale d'un roman tout entier, La Croule.
Pour Alexandre Dumas, qui l'aborde sur le plan gastronomique, elle ne convient ni aux bilieux, ni aux mélancoliques !

La plume du peintre, trophée et outil

Le peintre anglais Colin Woolf, peint une bécasse à l’aide d’un pinceau fait avec une « plume du peintre », www.wildart.co.uk
Le peintre anglais Colin Woolf, peint une bécasse à l’aide d’un pinceau fait avec une « plume du peintre », www.wildart.co.uk

Cette petite plume, fine et rigide, doit son nom à l'utilisation qu'en faisaient les artistes pour peindre des miniatures. Elle est située en bordure de l'aile. C'est le trophée du chasseur de bécasse. On la monte en broche, on l'accroche à son chapeau, on la range religieusement dans des boites peintes ou on l'expose sur des poteries représentant l'oiseau et disposant au croupion de trous spécialement conçus pour la recevoir. Des pêcheurs s'en servent pour concevoir des mouches destinées à leurrer les truites.
Un éventail composé de 3 000 plumes du peintre, véritable chef d'oeuvre créé vers 1900, est exposé au Musée international de la chasse de Gien.
En horlogerie, cette petite plume était utilisée autrefois pour nettoyer les mécanismes les plus fragiles.

Légendes et proverbes bécassiers

Dans le folklore de l'Albret, en Gascogne, la bécasse a pour réputation d'avoir effacé les traces de la Sainte Famille lors de sa fuite en Egypte. En récompense, la Vierge lui dit "qu'elle serait un oiseau distingué et que l'on ne pourrait jamais découvrir son nid". Une autre légende veut que les barres noires qu'elle porte sur le dessus du crâne soient le témoin des doigts de la Vierge qui aurait apposé sa main sur la tête de l'oiseau. En Gironde, on raconte que le roitelet voyage sous l'aile de la bécasse.
Les proverbes qui font référence à l'espèce ont pour origine l'observation précise des allées et venues de l'oiseau. Parmi les plus connus : "A la Saint-François, la bécasse est au bois" et "Quand arrive la Saint-Denis, les bécasses sont au pays". Un proverbe breton fait quant à lui référence à la gastronomie "A la foire Saint-Pol (10 octobre), bécasse sur table".
L'humidité du sol aidant grandement à son alimentation, l'association aux champignons coule de source : "Année de champignons, année de bécasses".


Article réalisé par Yves Ferrand

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