Peut-on encore censurer un livre aujourd'hui ?

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Mardi 26 Février 2013, la justice française se retrouve à nouveau devant l'éternel débat de la censure. Dominique Strauss Khan (DSK) souhaite voir "Belle et Bête", le livre de Marcela Iacub, retiré des ventes. Cet ouvrage raconte leur liaison, de janvier à août 2012. Celui qu'elle nomme le "mi-homme mi-cochon" l'attaque au nom de "l'atteinte à la vie privée". Jamais vraiment résolue, cette question taboue en France resurgit : faut-il oui ou non faire passer la liberté d'expression avant l'intimité de la personne ? Dans quelle mesure un livre peut-il être censuré ? Et quel rôle a l'Etat dans ce débat ?

Presse et littérature ont longtemps partagé le même corps.  Balzac, Zola, Baudelaire ou Hugo étaient avant tout des journalistes, critiques et souvent censurés. En 1881, la presse devient libre. La liberté d'expression est alors un droit, reconnu légalement et défendu par l'Etat. L'article 10 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales, qui fonde tout le système de droit de parole et de pensée, indique que la liberté d'expression "comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques". L'Etat ne peut donc pas intervenir. Cependant, pour éviter tout débordement, et que la presse devienne peu à peu un lieu de règlement de compte et de voyeurisme grossier, cette liberté est modérée par certains critères. Aussi, l'injure est condamnée (art. 33) et la diffamation (art 31). Tant que l'information est exacte, vérifiée, sourcée, dans un objectif d'information ou de prévention et non de destruction (incitation à la haine), elle n'a aucune raison d'être censurée.

Le poids et le rôle du journaliste et de l'information

Les règles du journaliste sont revisitées en 1971 par la Charte de Munich. Le journaliste se voit alors confiés 10 devoirs et 5 droits parmi lesquels figurent "le respect de la vie privée" et "s'interdire […] la diffamation". Littérature et Journalisme ont alors deux régimes distincts. Cependant, les œuvres littéraires non fictionnelles (biographie, autobiographie, reportage, documentaire etc.) suivent les mêmes règles que celle du journalisme. L'un des devoirs est de "refuser toute pression". Aussi, "Tout journaliste digne de ce nom […] n’accepte, en matière d’honneur professionnel, que la juridiction de ses pairs, à l’exclusion de toute ingérence gouvernementale". L'information est en France plus importante que l'Etat, car elle est nécessaire à l'Etat pour qu'il puisse tenir une ligne droite et éviter les débordements. Même s'il s'agit d'informations intimes et privées, elles sont utiles pour mieux comprendre les rapports de puissance, et ce qui peut se tramer derrière une personne lambda.

La limite entre "information" et "atteinte à la vie privée"

Une grande distinction est à faire entre une œuvre fictionnelle et un ouvrage qui ne l'est pas. Même ancré dans un fait d'actualité ou historique, un livre peut être imaginé. C'est ce qu'on appelle les romans historiques. Lorsque Dan Brown sort son Da Vinci Code, les historiens l'ont accusé de mensonges. Le Da Vinci Code étant une fiction, il peut dire ce qu'il souhaite dedans. Ainsi, un livre ayant un personnage raciste ou prenant pour cible une religion en particulier, véhiculant des idées haineuses ou amorales, n'est pas objet de censure. L'auteur peut se servir de ce personnage pour pousser une réflexion, un débat ou dénoncer certains comportements. De plus, lorsqu'il s'agit de biographie expiatrice, l'auteur y est mêlée et il ne s'agit, a priori pas, d'atteinte à la vie privée. Ainsi, le respect de l'intimité de la personne ne peut être bousculé que lorsqu'il s'agit de volonté de voyeurisme ou de destruction de l'autre, fond de commerce de nombreux magazines people et autres tabloïds.

Dans quelle mesure la France condamne-t-elle des œuvres ?

Depuis 1995, la France a été une dizaine de fois condamnée pour abus de censure. Ce n'est qu'en 2004, il y a donc moins de 10 ans, que le Ministre de l'Intérieur a perdu son droit absolu de censure de toute œuvre littéraire étrangère.  Lorsqu'il s'agit de personnalités politiques, la décision est plus délicate. En effet, plus qu'un humain, l'homme politique représente un pays et ses institutions. Cependant, DSK n'étant plus ministre, la question ne se pose pas ici. Dans un cas comme celui-ci, le comportement de la personnalité n'importe pas dans son individualité mais dans sa dimension générale d'homme de pouvoir.

Ainsi, tous les "livres à scandales" qui "devraient être censurés" respectent tous sans exception les règles très strictes et très suivies du respect de l'autre et les critères de la liberté d'expression, et aucun d'eux n'est passé entre les mailles du système.

Source : Legifrance.gouv ; Europa.eu ; Council Of Europe