Burgess, un extraordinaire témoignage

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Le livre de Stephen Jay Gould a contribué s’il en fut besoin à la notoriété du site de Burgess, 1991
Le livre de Stephen Jay Gould a contribué s’il en fut besoin à la notoriété du site de Burgess, 1991
La scène se situe voici 530 millions d'années, un long voyage dans le temps qui nous ramène presque à l'origine des animaux pluricellulaires. Des formes totalement disparues de nos jours peuplent les océans de cette époque dénommée Cambrien. Cette diversité exceptionnelle nous est accessible grâce à des gisements fossilifères, notamment le plus célèbre, le schiste de Burgess.

Le gisement de Burgess

Ce gisement se trouve dans les Montagnes Rocheuses canadiennes, près de la frontière avec la Colombie Britannique. Situé à 2300 mètres d'altitudes et sous la neige une bonne partie de l'année, ce gisement est d'une telle importance que scientifiques et amateurs s'y relaient à la belle saison depuis des décennies.

Il peut paraître curieux pour un novice que des formes fossiles d'origine marine se trouvent de nos jours aussi haut en altitude. Ce phénomène est pourtant très fréquent. Les évènements géologiques qui affectent constamment notre planète peuvent, en plusieurs millions d'années, déplacer des couches sédimentaires situées au fond de l'océan vers le sommet d'une montagne nouvellement créée. C'est ce qui s'est passé pour le schiste de Burgess et ses animaux fossiles.

L'intérêt de cette faune est son âge, ses 530 millions d'années nous ramenant peu de temps, à l'échelle géologique, après l'apparition et la diversification des premières formes de vie animales pluricellulaires. Cette phase de diversification, qui conditionne notre propre existence, est souvent dénommée « explosion cambrienne » en relation avec le caractère soudain de son apparition dans les strates fossilifères.

Des eaux grouillantes de vie

Amiskwia © Mélodie Bordes
Amiskwia © Mélodie Bordes
La richesse spécifique des eaux de l'époque n'était pas bien estimée avant la découverte, en 1909, du gisement de Burgess par Charles Doolittle Walcott. Ce paléontologue, très réputé en son temps, eu rapidement la sensation qu'il avait fait une découverte de taille exceptionnelle. Il revint très régulièrement sur le site, et la divulgation de ses recherches contribua à la célébrité qu'il rencontra lors de son vivant.
Lors de son travail colossal, il mit à jour plus de 65 000 spécimens. Pourtant, le chercheur, désireux de classer ces organismes avec des formes actuelles au sein de groupes déjà définis, passa complètement à côté de tout l'intérêt du gisement : une grande partie des espèces de Burgess ne ressemblent en rien aux espèces actuelles, elles appartiennent à des groupes inconnus.
Ce n'est que dans les années soixante que les fossiles furent de nouveau étudiés et que l'on comprit l'enseignement fondamental de cette faune. Lors de l'apparition des premières formes pluricellulaires, l'évolution avait emprunté une multitude de voies et seules certaines d'entre elles sont arrivées jusqu'à notre époque. On comprit que la diversité des temps passés était beaucoup plus importante que ce qui avait été estimé jusqu'alors.

La faune de Burgess
On sait maintenant que les espèces fossiles de Burgess ne sont pas de proches parents des crustacés actuels, des limules, ou encore des insectes. Ce sont des formes nécessitant l'établissement de nouveaux groupes.
Une présentation de certaines d'entre elles suffira sans nul doute à vous convaincre.

Obapinia

Reconstitution d'un Obapinia © Mélodie Bordes
Reconstitution d'un Obapinia © Mélodie Bordes
Un des animaux les plus étranges du site se nomme Obapinia, animal tellement curieux que les scientifiques s'opposèrent pour distinguer le dos de la partie ventrale. Des dessins de l'animal dans les deux sens furent proposés avec d'insistantes justifications. On sait maintenant exactement à quoi ressemble ce petit animal de 5 centimètres, suffisamment pour dire qu'il ne rentre dans aucun groupe connu.
Pour commencer, Obapinia présente 5 yeux ! Deux paires d'yeux sont portées par des pédoncules mais le cinquième, isolé sur la ligne médiane, en est dépourvu. Une longue trompe cylindrique prolonge la tête. Cet organe souple devait servir à amener la nourriture jusqu'à la bouche, située plus en arrière. A l'extrémité de la trompe, un système de pinces permettait de saisir les proies. Le corps est segmenté, chaque segment portant latéralement des lobes auxquels s'attachent les branchies. L'extrémité postérieure présente elle-aussi des lobes, relevés et dirigés vers l'extérieur. Aucun des caractères précités ne permet de classifier Obapinia, c'est un animal pour lequel il faut créer un nouveau tiroir.

Nectocaris

Reconstitution d’un Nectocaris © Mélodie Bordes
Reconstitution d’un Nectocaris © Mélodie Bordes
Autre bizarrerie, Nectocaris n'est représenté que par un spécimen. Si sa tête évoque clairement celle d'un arthropode, voire même d'une crevette, le reste du corps rappelle plutôt une lamproie. Devant cette énigmatique combinaison, les chercheurs durent admettre qu'il était impossible de classer Nectocaris dans un embranchement connu.

Anomalocaris

Reconstitution d’un Anomaloaris © Mélodie Bordes
Reconstitution d’un Anomaloaris © Mélodie Bordes
Plus spectaculaire encore, Anomalocaris pouvait atteindre 60 centimètres et étaient certainement un des animaux les plus redoutés de l'époque.
C'est le plus grand prédateur du Cambrien. Ses deux puissants organes préhenseurs lui permettaient de capturer ses proies et de les porter jusqu'à sa bouche, située en position ventrale. Ces pièces sont à l'origine du nom de l'animal. En effet, les animaux de Burgess sont fréquemment fragmentés et les pièces de leur corps sont parfois éparpillées dans le sédiment. Les organes préhenseurs d'Anomalocaris avaient été trouvés isolés du reste du corps et identifiés comme une nouvelle espèce de crevette. Conscient de l'étrangeté de la supposée crevette, le descripteur lui avait donné un nom signifiant « étrange crevette ». D'autres parties du corps avaient également été identifiées comme des espèces à part entière (la bouche avait été confondue avec une méduse) et ce n'est que récemment que l'on résolut cet extravagant puzzle. Anomalocaris est maintenant bien décrit : Sa grosse tête présente deux yeux latéraux, une bouche ventrale circulaire et deux organes préhenseurs articulés. Son corps n'est pas moins curieux avec ses 11 lobes ventraux superposés qui assuraient vraisemblablement la locomotion du prédateur. Ce monstre miniature était sûrement le maître des eaux du Cambrien. Il appartient, comme les espèces précédentes, à un nouvel embranchement.

Wiwaxia

Reconstitution d’un Wiwaxia © Mélodie Bordes
Reconstitution d’un Wiwaxia © Mélodie Bordes
Wiwaxia n'est pas moins étrange. Ovale et couvert de plaques épineuses, ce petit animal vivait sur le fond. Son armure complexe était rendue plus singulière encore par la présence de deux rangées de longs piquants sur le dos. La partie ventrale, dénué de plaques, porte antérieurement la bouche ornée d'un appareil masticateur denté. La ressemblance avec la radula des gastéropodes a poussé certains à suggérer une parenté avec ce groupe mais aucun trait anatomique ne supporte réellement une telle parenté. L'animal devait ramper sur le ventre, d'une façon toujours inconnue.

Odontogriphus

Reconstitution d’un Odontogriphus © Mélodie Bordes
Reconstitution d’un Odontogriphus © Mélodie Bordes
On peut également citer Odontogriphus, une créature plate et allongée dont le corps annelé atteignait 6 centimètres et dont la bouche est entourée d'une structure ornementée sans équivalent dans le monde animal. Autre forme plate et allongée, Amiskwia présentait un corps vraisemblablement gélatineux. La partie caudale se terminait postérieurement par une expansion aplatie dans le plan horizontal qui devait faire office de nageoire. Des expansions latérales servaient certainement à stabiliser l'animal lors de ses déplacements par ondulation. La tête globuleuse portait deux longs barbillons. Aucun caractère ne justifie une parenté avec une forme actuelle.

Hallucigenia

Reconstitution d’un Hallucigenia © Mélodie Bordes
Reconstitution d’un Hallucigenia © Mélodie Bordes
Que dire enfin d'Hallucigenia, espèce dont le nom qui signifie hallucination, n'est aucunement usurpé. Une rangée de tentacules sur une face, deux rangées de puissants piquants sur l'autre, une extrémité globuleuse, une autre avec une trompe et des palpes, on ne sait pas où sont le dessus, le dessous, l'avant et l'arrière de l'animal. Impossible d'orienter Hallucigenia tant ses caractères anatomiques n'évoquent rien de connu. On ne sait pas non plus à quoi servait chacun des organes et certains pensent même que Hallucigenia n'est qu'un appendice d'une bête plus grande pas encore découverte. D'autres pensent qu'il s'agit d'un péripate. Mystère total et discussions en court...

L’aventure n’est pas terminée

Cette liste n'est pas exhaustive, de nombreux autres animaux hors-normes existant dans les strates du schiste de Burgess, mais ces exemples suffisent à démontrer les nombreuses pistes que la nature peut emprunter lors du jeu hasardeux des mutations. Les espèces qui existent de nos jours ne sont qu'une petite partie de l'immense diversité des formes ayant vécu sur terre. Le schiste de Burgess montre ainsi que l'évolution n'est pas dirigée et linéaire mais qu'elle est, au contraire, buissonnante et imprévisible. Et aussi que de tous temps des espèces sont apparues et d'autres sont disparues sans que l'homme n'ait pu avoir la moindre responsabilité.

Article réalisé par Arnaud Filleul.

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