Coelacanthes : des poissons à pattes

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Le rhysodus, un grand et lointain cousin du coelacanthe et de l’homme
Le rhysodus, un grand et lointain cousin du coelacanthe et de l’homme
Une valse hésitation, d'abord la vie aquatique, puis une vie terrestre pour retourner dans les eaux originelles et ce n'est sûrement pas fini...

Notre existence sur cette planète est liée à celle des créatures qui nous ont précédé

Nous sommes le fruit d'une longue évolution de la vie. L'un des maillons les plus importants de notre histoire évolutive est le passage de la vie aquatique à la vie terrestre. Nous avons des ancêtres poissons, mais certains de ces ancêtres sont plus importants que d'autres dans notre propre évolution.
Les poissons en quittant leur milieu aquatique pour donner tous les vertébrés terrestres, y compris l'homme, ont transformé la vie de leurs descendants.
Partons à la découverte de nos parents des temps passés, ceux qui ont réalisé la colonisation de la terre ferme.

Sommes-nous encore des poissons ?

Le petit d’homme est comme le coelacanthe, un descendant des sarcoptérygiens
Le petit d’homme est comme le coelacanthe, un descendant des sarcoptérygiens

Commençons par quelques précisions sur les termes
Ce que l'on dénomme communément "poissons" est un ensemble hétéroclite de vertébrés aquatiques comprenant plus de 28 000 espèces.
De nos jours, parmi ces 28 000 espèces, le groupe des actinoptérygiens présente le plus grand succès évolutif, avec près de 25 000 représentants qui peuplent tous les océans et les eaux douces du globe. Sont compris dans ce groupe la plupart des poissons connus tels le brochet, la carpe, la truite, l'esturgeon, le hareng, le bar, la sole, la perche, et de nombreux autres. Le nom du groupe désigne une caractéristique observable chez l'ensemble de ses membres : la présence de nageoires rayonnées.
Les actinoptérygiens n'ont pas toujours dominé les eaux du globe, d'autres "poissons" ont également eu leur âge d'or, par exemple les placodermes (maintenant disparus), les chondrichtyens (toujours représentés par les requins et les raies ) et, durant le Dévonien, des poissons particulièrement intéressants appartenant au groupe des sarcoptérygiens (les coelacanthes).
L'histoire de ces animaux nous concerne tout particulièrement puisque nous leur sommes apparentés. C'est en effet un poisson sarcoptérygien, un poisson fossile dont les nageoires sont devenues musculeuses, préfigurant les tétrapodes qui en sont issus, qui a effectué la sortie des eaux, voici 380 millions d'années. Sa descendance comprend tous les Vertébrés terrestres, y compris l'homme.
La classification moderne reflète cette parenté, puisque nous appartenons, comme ces poissons, au groupe de Sarcoptérygiens.
Il est inutile de chercher dans le mot sarco une quelconque allusion à un concept actuel, ceux qui insisteraient dans cette voie doivent se souvenir que sarco en grec signifie viande et que la sarcologie fut longtemps (voir le dictionnaire de Trévoux) une science enseignée à l'université et dont une des branches principales était l'étude du pourrissement des chairs... Là aussi les arcanes de l'évolution ont leurs mystères...

Un peu de sarcologie

Des écailles fossiles sarcoptérygiens © Arnaud Filleul
Des écailles fossiles sarcoptérygiens © Arnaud Filleul

Il faut comprendre que le terme "poisson" n'est pas scientifique, il faut le réserver à l'usage commun. Même si les vertébrés aquatiques désignés par ce terme se ressemblent en raison de partage de caractères anatomiques primitifs, comme les écailles ou les branchies, l'étude plus poussée de leur anatomie montre qu'ils ne sont pas étroitement apparentés entre eux. La ressemblance globale ne permet pas de comprendre les relations de parenté entre organismes, ceci étant particulièrement bien illustré par l'exemple des poissons Sarcoptérygiens.

Au contraire des poissons à nageoires rayonnées, les poissons Sarcoptérygiens présentent des nageoires à l'aspect charnu (l'origine de leur nom) dont la structure interne nous apprend beaucoup sur leur histoire évolutive, ainsi que sur la nôtre. Les rayons ne se déploient pas à partir de la limite du corps comme chez la plupart des poissons actuels mais reposent sur un ensemble d'os responsables de l'aspect charnu. Un seul os des nageoires assure le contact avec les ceintures pectorales et pelviennes, on dit que le squelette des nageoires est monobasal. Cet os de contact est l'équivalent de notre humérus (ceinture pectorale) et de notre fémur (ceinture pelvienne).

Nageoire fossile d’un sarcptérygé : sauripteris taylori © Arnaud Filleul
Nageoire fossile d’un sarcptérygé : sauripteris taylori © Arnaud Filleul

Voici donc des animaux à l'allure externe de poissons mais dont l'anatomie interne montre des caractéristiques en commun avec les Vertébrés terrestres actuels. Qu'est-ce que cela signifie d'un point de vue évolutif ? Si les poissons Sarcoptérygiens ressemblent aux autres poissons, c'est parce qu'ils ont conservé les caractères primitifs communs à tous les animaux ayant une origine aquatique, mais la présence de nageoires monobasales prouve qu'ils sont plus étroitement apparentés aux vertébrés terrestres qu'aux autres poissons.
C'est à partir d'une nageoire de ce type que les membres adaptés à la terre ferme sont apparus chez les vertébrés. Grâce à ces animaux, les Vertébrés terrestres ont pu exister, nous en sommes une des conséquences actuelles. On sait maintenant comment s'est effectuée la colonisation du milieu terrestre.

On débarque… et on rembarque

A la fin du Dévonien, les plantes avaient déjà colonisé les milieux continentaux, tout comme les arthropodes qui prospéraient depuis des millions d'années. De plus, les végétaux avaient produit suffisamment d'ozone pour former une couche protégeant des rayonnements ultra-violets. Il y avait donc un milieu riche et viable complètement dénué de Vertébrés alors que ces derniers prospéraient dans les eaux. Une niche écologique était vide.
Voici 370 millions d'années, la parade adaptative allait être trouvée. Il faut comprendre que les nouveautés évolutives n'apparaissent pas dans un but, elles apparaissent par le jeu hasardeux des mutations et se propagent dans une population d'organismes si elles apportent un avantage sélectif aux porteurs de ces mutations. L'aspect le plus surprenant de l'apparition des pattes, exemple frappant d'innovation évolutive, est sans doute le fait que ces dernières ne servaient pas à marcher.
Les espèces fossiles comme Elpistostege ou Acanthostega envoient aux oubliettes l'image d'Épinal montrant les premiers Vertébrés à pattes sortant d'une mare à moitié asséchée pour survivre. Les premières pattes servaient à nager ! C'est dans des milieux marécageux que ces nouvelles structures (pouvant compter jusqu'à 8 doigts) ont apporté un avantage adaptatif en permettant de pagayer entre la végétation très dense. L'apparition de poumons a permis de venir prendre de l'air en surface et ce n'est que très progressivement que l'adaptation totale à la terre ferme s'est réalisé.

Dent fossilisé de rhizodontes © Arnaud Filleul
Dent fossilisé de rhizodontes © Arnaud Filleul

Tous les vertébrés terrestres sont inclus dans le groupe des tétrapodes et leurs pattes sont une dérivation des nageoires de poissons sarcoptérygiens. Nous sommes donc réellement les descendants de poissons et il est intéressant de constater que si les poissons actinoptérygiens ont eu un énorme succès évolutif dans les océans, les poissons sarcoptérygiens ont eu un succès comparable, mais sur la terre ferme !

Dans le même temps, les espèces de sarcoptérygiens restées dans un environnement aquatique, d'abord nombreuses, ne furent pas destinées au même succès. Elles disparurent presque toutes et n'ont laissé que quelques descendants actuels dont le très célèbre coelacanthe et les moins connus dipneustes.
Pourtant, les archives fossiles sont riches de ces espèces qui démontrent la prospérité perdue du groupe.
Certains Sarcoptérygiens ichthyens étaient des animaux de grande taille et des prédateurs redoutés, les plus spectaculaires étant les rhizodontes. Avec une taille de 4 mètres, ces poissons chassaient probablement à l'affût, leur large ouverture de gueule et la taille conséquente des dents leur permettant vraisemblablement de s'attaquer à des proies de taille respectable.
Autre poissons sarcoptérygiens à connaître, les porolépiformes et les coelacanthiformes font partie des groupes fossiles très étudiés.

L’aventure de l’évolution continue

Coelacanthe
Coelacanthe

Ce que l'on apprend de l'étude des sarcoptérygiens et des tétrapodes est le caractère imprévisible de l'évolution. Il a fallu une combinaison de conditions totalement contingentes pour que les Vertébrés sortent de l'eau voici 380 millions d'années. Mais 150 millions d'années plus tard, certains tétrapodes se réadaptaient à la vie aquatique, avec des formes très célèbres comme les ichthyosaures et les autres reptiles marins. Puis, 300 millions d'années après la sortie des eaux, c'était au tour des mammifères de retourner dans les océans, pour donner les immenses baleines qui croissent toujours dans nos eaux.
La sortie des eaux n'était pas programmée, il s'agissait juste d'une opportunité qui scella (pour un temps...) notre propre sort.

Article réalisé par Arnaud Filleul.

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Les catégories relatives à cet article : préhistoire paléontologie

Mots clés :coelacanthecomprendrepoissons